Une
maison modeste que je trouvais grande avec mes yeux d’enfant. La façade donnait
sur un large passage qui menait chez les
voisins, Wilma et Raymond, et de là, à la petite rivière que nous traversions
sur un petit pont en bois rudimentaire. Le soleil entrait par deux fenêtres à volets et une porte d’entrée qui
donnait directement dans la pièce commune ; en été, cette porte était
souvent ouverte. Un peu plus loin, juste avant la maison de Wilma et Raymond,
un mur avec une porte que l’on passait pour aller chercher le grain des poules
entreposé dans une vieille maie et où se tenaient les clapiers à lapins.
La
pièce commune était meublée simplement. Dans le fond de la pièce et de chaque
côté, un lit rouleau pour deux personnes
qui ne dépassait pas les un mètre trente de large. Une table de nuit avec
l’indispensable pot de chambre et du côté du mur, une ruelle.
Entre les deux lits, une commode et une
table carrée dont on tirait les rallonges quand toute la famille était réunie.
A
droite de la pièce un grand buffet, je pourrai dire de style Louis-Philippe. Il me semble qu’il
était plus haut qu’un buffet normal, il se pourrait que ce fût un basset. Je ne
sais pourquoi, mais quand j’étais petite, ce buffet me plaisait beaucoup. Au-dessus de ce buffet était accroché une
grande glace inclinée qu’appréciait beaucoup ma Tante Suzanne, la sœur de ma
Mémé, parce qu’elle faisait paraître les silhouettes moins grosses.
Juste
derrière la porte, et avant celle d’une autre pièce un évier en pierre qui servait autant pour la vaisselle que pour la toilette.
Il n’y avait pas l’eau courante , il fallait tirer celle du puits.
Sous
la fenêtre une grande table au bout de laquelle se tenait souvent Patient quand
il n’était pas à son jardin. C’est à cette place qu’il coupait des mouillettes
pour toute la famille quand nous faisions un dîner « œufs à la coque ».
Dans le creux de son bras valide il tenait un gros pain de quatre livres et
avec celui handicapé, il taillait des mouillettes aussi droites que régulières.
C’était une petite corvée qui lui était destinée et qu’il faisait avec grand
plaisir. Patient avait fait une
congestion cérébrale, comme on disait dans ce temps là, alors qu’il était à
l’arrière du front du côté de Verdun en 1918 -.
Il
était rentré à la maison, après une longue hospitalisation, touché psychologiquement
et physiquement. Tout son côté droit était paralysé. Il traînait de la patte
comme on dit et tenait son bras handicapé
plié contre sa taille, point fermé. Il
dut apprendre à se servir de sa main gauche. Patient était habillé à l’ancienne,
culotte de velours noir et ceinture drapée autour de la taille et il était
chaussé de sabots en bois.
Marguerite,
elle, était toujours en longue robe noire avec un tablier. Ses cheveux gris
étaient rassemblés sur sa nuque en une longue tresse dont elle faisait un petit
chignon.
Dans
le fond de la pièce à gauche, un placard,
puis la grande cheminée. Dans le milieu de la pièce, un poêle qui produisait un
peu d’eau chaude, et sur lequel bouillait la marmite. C’était aussi l’hiver, le
seul moyen de chauffer la pièce.
Chaque
lit était paré, outre les draps et les oreillers blancs, d’un gros édredon rouge dans et sous lesquels
j’aimais me glisser avec pour me réchauffer, une brique chaude aux pieds
enveloppée dans du papier journal. Je me souviens qu’il y avait une bassinoire en cuivre accrochée au mur. Ces lits avaient
beaucoup de charme. Marguerite et Patient dormaient dans le lit de gauche.
L’autre
pièce était une chambre avec une
coiffeuse en bois, cuvette et broc en faïence, et glace bambou au mur. Je me
souviens m’y être lavé les dents, quand je dormais chez Marguerite et Patient,
avec une pâte dans une boîte et non un dentifrice en tube. Dans cette chambre,
il y avait une armoire et un lit métallique. Curieusement la porte de la cave
donnait dans cette chambre et dans la cave il y avait une porte qui s’ouvrait
sur le potager de Patient.
Dans
la cour, juste à gauche du portail, il y avait un pommier à pommes « beurre »
dont nous nous régalions, un escalier extérieur pour monter au grenier, une remise dans laquelle nous
jouions les jours de pluie et même les jours de beau temps et au plafond de
laquelle était suspendu un garde manger qui protégeait des mouches les fromages
que faisait Marguerite. Nous jouions entre le tas de bois, réserve pour l’hiver,
et un engin en bois, long formé d’un genre de poutre sur des pieds avec une
paire de cornes en bois également. Cet engin est une chèvre et Patient
l’utilisait pour scier les bûches de bois.
A
côté de la remise, la cabane au fond de la cour et derrière elle le tas de
fumier dans lequel mes cousins prélevaient
des asticots pour aller à la pêche. Car outre les dîners oeufs à la coque, des
dîners friture et soupe à l’oseille faite
au lait réunissaient également toute la famille.
En
face de ce côté de la cour, le puits à roue avec un bac en ciment dans lequel
mes cousins y déposaient, après l’avoir remplie d’eau, le fruit de leur pêches
dont des poissons chats.
Dans
cette cour on donnait le grain aux poules et Marguerite les appelait par des « Petits !
Petits ! Petits ! » Nous y faisions des courses en sac
mémorables. Au fond à droite dans cette cours
se dressait un magnifique noyer, et à droite de notre air de jeux, le
potager de Patient. Malgré son handicape physique, il faisait son jardin du bêchage à la récolte. Entre la cour et le potager, des pruniers,
un altéa ou peut-être des roses trémières.
Je
me souviens aussi des tours de poussette que nous faisions tant dans la cour
que dans le passage et d’un jour maudit où mon cousin Yves était au guidon et promenait mon petit frère. Au sortir de la
remise dont le sol était un peu plus haut que celui de la cour, la poussette
bascula en avant et mon petit frère alla
écraser son petit nez sur le guidon, ce qui fit le désespoir de mon
cousin, qui vint au « Château » au chevet du bambin.
Dehors,
dans le passage, sous une des fenêtres de la maison, à côté du pas de la porte,
un carré cimenté, un banc sur lequel Marguerite, mais surtout Patient,
prenaient le frais des soirées d’été. C’est sur ce banc également que Patient
nettoyait les poissons pêchés par mes cousins, Il jetait les déchets au sol,
les poules se régalaient et nous, nous nous amusions à faire éclater les
vessies avec nos pieds.
Pour
mettre un peu de beurre dans les épinards, Marguerite battait la campagne sur
son vélo noir pour aller faire des piqûres prescrites par le Docteur du
village.
En
fait nous étions souvent une grande famille dans la maison de Marguerite et
Patient.
Mes
Grands-Parents, mes Parents, ma sœur, mon frère et moi, le frère de ma
Grand-Mère, la sœur de cette dernière, ma Tante Suzanne, et son mari. Mes
cousins Gérard et Yves et ma cousine Nanou. Mes deux oncles se prénommaient
tous les deux Henri, aussi l’un était Tonton Henri, l’autre Tonton Parrain puisque
ce dernier, le frère de ma Mémé était le parrain de ma Maman. Pour distinguer
aussi Marguerite et Patient de mes Grands-Parents, Marguerite et Jean, ils
étaient Mémé et Pépé Maman, puisqu’ils étaient les Grands-Parents de Maman.
Je
me souviens aussi des repas de famille au cours desquels Marguerite régalait le
palet de tout son petit monde en nous concoctant de délicieux civets de lapin.
Il paraît qu’elle n’aimait pas tuer ses petites bêtes à poils, et que rien qu’à la pensée de sacrifier un de ses
lapins, cela la chagrinait pendant deux ou trois jours avant le jour fatidique.
Je n’aimais pas voir ces pauvres bêtes dépecées de leur belle fourrure, pendues
à un crochet et sanguinolentes. Par contre, dans mon assiette, j’aimais bien.